L’OCCIDENT N’A PAS PERDU LA VIE, MAIS IL A PERDU LE CONTRÔLE

Interview Valeurs Actuelles du 19 octobre 2023.

Pour Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, la France traverse un “vide existentiel”. Il appelle à ce que tout étranger présentant une menace puisse être expulsé. Et au sursaut civilisationnel.

Propos recueillis par Tugdual Denis et Thomas Morel

Quel lien faites-vous entre ce qui s’est passé samedi 7 octobre en Israël et vendredi 13 octobre à Arras?
L’enquête nous éclairera, mais comment ne pas penser que la main de l’islamiste qui a tué Dominique Bernard n’ait pas été guidée par l’appel du fondateur du Hamas à organiser, le 13 octobre, « un jour de colère » ? Au-delà du calendrier, c’est toujours le même cauchemar islamiste qui revient: toujours les mêmes profils, les mêmes méthodes et toujours la même impuissance. Trois ans après la mort de Samuel Paty, après le Bataclan, Char- lie Hebdo, le père Hamel, la promenade de Nice… rien n’a été réglé. La République ne peut plus se contenter de réagir, elle doit se réarmer.

S’agit-il d’un djihad global, c’est-à-dire y compris chez nous?
Le djihad global est déjà chez nous, parce que l’islamisme n’a pas de “chez soi”. Nous faisons face à une internationale de la barbarie dont les ramifications s’étendent jusqu’en France. Quelles sommes d’argent le Hamas a-t-il récoltées dans les quartiers à travers les collectes de fonds pour la cause palestinienne? Combien de millions d’aides européennes a-t-il détournés ? Je suis favorable à la suspension des aides au développement car à Gaza, le Hamas contrôle tout : personne ne peut garantir qu’aucun euro n’est allé, et n’ira pas, dans les poches des islamistes. La guerre que mènent les Israéliens est aussi la nôtre. Les partisans de la neutralité sont soit des naïfs, soit des complices.

Quelle sens donner aux manifestations pro-palestiniennes sur notre sol?
Le laisser-aller migratoire a mis la France à la merci de toutes les intifadas. Le conflit israélo- palestinien est déjà chez nous. Son importation s’est faite par l’immigration. L’extrême gauche a fait le reste. La France insoumise est la honte de la France. Dans les kibboutz, des familles entières ont été assassinées, des enfants décapités, et Mme Panot refuse de qualifier le Hamas de terroriste! Ces élus, qui couvrent de leur écharpe tricolore le sang des massacrés et les crimes des massacreurs se sont déshonorés. LFI est aujourd’hui une menace pour la République, car ce parti fait le jeu de notre pire ennemi: le totalitarisme islamiste. L’histoire les jugera.

Les mêmes scènes se sont reproduites aux États-Unis, en Australie, en Suède, au Royaume-Uni… Jusqu’à quel point l’islam est-il soluble dans le monde occidental? Jusqu’au point où, compte tenu du nombre, nous ne pouvons plus assimiler. En France, ce point a été atteint depuis plusieurs années déjà. La question du nombre, c’est la question centrale: on peut intégrer des individus, mais non des flux en augmentation continue. Trop, c’est trop. Nous ne contrôlons plus rien sur l’immigration et nous n’exigeons plus rien des immigrés. C’est dans ce “rien” que se vide le grand “tout” du totalitarisme islamiste.

Les étudiants, notamment aux États-Unis, ont pris fait et cause pour le Hamas. De quelle malformation est-ce le nom?
D’un mal qui ronge l’Occident: la haine de soi, ce poison inoculé par la déconstruction. Les déconstructeurs wokistes, qui ont fait de l’université américaine leur bastion, ne sont pas totalement ignares : ils savent qu’Israël porte une part de nous-mêmes, qu’un lien irrévocable, tissé dans nos racines judéo-chrétiennes, l’unit à l’Occident. Ce lien, comme tous nos héritages civilisationnels, leur est insupportable. Car les déboulonneurs de statues ne se sentent tenus par rien, sinon par cette passion nihiliste de l’autodestruction. Pour les combattre, nous devons faire preuve d’une constance inébranlable : je rappelle qu’Emmanuel Macron avait choisi Pap Ndiaye, un wokiste de salon, comme ministre de l’Éducation nationale.

Comment aider Israël à ne pas tomber dans le piège du Hamas et de l’Iran?
Si piège il y a, c’est d’abord celui que nous tend le Hamas à travers ses relais en Occident: se pré- senter comme la victime d’une guerre dont il est en réalité le seul coupable. Les islamistes sont de fins stratèges qui habillent leurs crimes du grand récit victimaire, cet anesthésiant qui endort nos sociétés gouvernées par l’émotion. Il y a un agressé, Israël, et un agresseur, le Hamas. Le premier doit être épaulé, le second éradiqué. L’éradication du Hamas est le préalable à tout. Il ne pourra y avoir une solution à deux États tant qu’existera cette organisation terroriste qui, elle, n’en veut qu’un seul : un État islamique. Pas plus qu’il n’y aura une relance du processus des accords d’Abraham si celui qui vient de l’interrompre, le Hamas, n’est pas d’abord neutralisé. Cette neutralisation doit évidemment se faire en préservant au maximum les civils palestiniens, par des couloirs humanitaires.

Quelles sont les mesures à prendre de toute urgence en France?
L’urgence, c’est de mettre fin au chaos migratoire. Le Russe, fiché S, qui a assassiné ce pro- fesseur a été débouté par deux fois du droit d’asile! Gérald Darmanin affirme vouloir expulser tous les étrangers dangereux (comme il l’avait déjà dit après la décapitation de Samuel Paty) mais son projet de loi aurait-il pu éviter le drame d’Arras? La réponse est non. Avec son texte, il aurait fallu que ce Russe, pour être expulsé, ait été condamné à un crime ou un délit passible de dix ans d’emprisonnement, puisqu’il est arrivé avant ses 13 ans en France. En matière d’expulsion, les exceptions ont tué la règle et elles tuent désormais des Français. Tout étranger présentant une menace doit pouvoir être expulsé, quel que soit son parcours ou sa situation. Si certains, au nom de l’État de droit, nous en empêchent, alors soumettons cette mesure au peuple français : il faut un référendum sur l’immigration. Mais surtout, ce projet de loi, en créant un droit opposable à la régularisation pour les clandestins qui travaillent, va créer un nouvel appel d’air migratoire. Ce sera aujourd’hui en pire: il y aura toujours plus d’entrées sur notre sol et donc toujours plus de bombes à retardement en France. Car qu’il travaille ou non, un islamiste reste un islamiste! Jamais nous ne cautionnerons cette folie. Au Sénat, le groupe LR défendra toutes ses mesures, de la suppression de l’aide médicale de l’État à la réduction drastique de l’immigration familiale, en passant par le dépôt des demandes d’asile hors du territoire national.

En matière d’expulsion, les exceptions ont tué la règle et elles tuent désormais des Français. Tout étranger présentant une menace doit pouvoir être expulsé, quel que soit son parcours ou sa situation. Si certains, au nom de l’État de droit, nous en empêchent, alors soumettons cette mesure au peuple français : il faut un référendum sur l’immigration. Mais surtout, ce projet de loi, en créant un droit opposable à la régularisation pour les clandestins qui travaillent, va créer un nouvel appel d’air migratoire. Ce sera aujourd’hui en pire: il y aura toujours plus d’entrées sur notre sol et donc toujours plus de bombes à retardement en France. Car qu’il travaille ou non, un islamiste reste un islamiste! Jamais nous ne cautionnerons cette folie. Au Sénat, le groupe LR défendra toutes ses mesures, de la suppression de l’aide médicale de l’État à la réduction drastique de l’immigration familiale, en passant par le dépôt des demandes d’asile hors du territoire national.

Au regard de ce qu’écrivait Huntington, la situation actuelle correspond-elle à un choc de civilisations?
L’arc des conflits, qui s’étend aujourd’hui du Sahel jusqu’à l’Arménie en passant par la bande de Gaza, dessine un choc civilisationnel avec des puissances ou des groupes mus par l’islamisme. Le drame, c’est qu’en Occident, la gram- maire des civilisations est devenue étrangère à beaucoup de nos dirigeants. Et pour cause: leur langue commune, c’est celle des droits individuels, incapable de traduire les grands boule- versements collectifs. Pendant que l’Onu laissait l’Azerbaïdjan, soutenu par l’islamiste Erdogan, envahir le Haut-Karabakh, son secrétaire général s’en prenait à la France en raison de l’inter- diction de l’abaya à l’école. Cela dit tout.

L’Occident est-il mort?
L’Occident n’a pas perdu la vie mais il a perdu le contrôle. La faute lui en revient. Nos démocraties ont ébranlé toutes les fondations sur les- quelles elles avaient assis leur puissance: la souveraineté de l’État, détricotée au nom du libre-échange et de la libre circulation; la raison scientifique, dévaluée sous la pression des délires décroissants; la culture de nos nations, délégitimée par les repentants; le renouvellement des générations, ignoré par des dirigeants considérant la famille comme une vieillerie et la natalité comme un tabou. Autrement dit, nous avons bradé l’héritage du temps pour acheter toutes les folies du moment. Y compris dans le domaine industriel. Pourquoi François Hollande puis Emmanuel Macron ont-ils sabordé notre filière nucléaire, si ce n’est pour s’acheter les voix des écologistes? Aujourd’hui, nous payons la facture de toutes ces inconséquences.

De quoi souffrons-nous?
De beaucoup de choses mais, par-dessus tout, d’un vide existentiel. Nous ne parvenons plus à donner un contenu à notre être collectif. Vous avez évoqué Huntington: près de dix ans après son Choc des civilisations, il avait écrit un ouvrage intitulé Quisommes-nous ? C’est cette interrogation qui taraude les peuples occidentaux. Paradoxalement, ce sont nos ennemis islamistes qui, en nous désignant comme le camp « des juifs et des croisés » ou en prenant pour cibles privilégiées notre école et notre laïcité, nous apportent une réponse.

En nous qualifiant, ils nous obligent à sortir de l’indéfinition. Et nous prenons conscience que l’Occident ne se réduit pas au règne froid du droit et du marché. Qu’avons-nous à opposer à la barbarie, sinon la civilisation qui nous a construits? Si nous en prenons vraiment conscience, et si nous nous en donnons vrai- ment les moyens, alors nos nations pourront vaincre. Mais c’est un combat métaphysique qui nécessite une révolution mentale.

Quel est le degré de risque d’une guerre civile?
Ce risque existe. Et la France est sans doute le pays d’Europe où il est le plus élevé. Aucun de nos voisins n’a connu des émeutes comme celles de l’été dernier. Tous les ingrédients pour un cocktail explosif sont aujourd’hui réunis : un laxisme pénal, qui peut conduire une partie de nos compatriotes à se faire justice eux-mêmes; une multiplication des zones de non-droit où les armes et la drogue circulent librement; la banalisation d’un discours racialiste qui cherche à rendre les Français étrangers les uns aux autres. Nous ne conjurerons pas le spectre de la guerre civile en achetant la paix sociale avec les milliards de la politique de la ville, ou en agitant les slogans creux du “vivre-ensemble”.

Quelle conséquence entrevoyez-vous à la multipolarité du monde et à l’accumulation de conflits qui partout surgissent ou resurgissent?
La première concerne l’État : face aux menaces, il doit se recentrer sur ses missions de souveraineté. En France, l’État a déserté le domaine du souverain pour s’ingérer dans le domaine du quotidien. Pour dégager des moyens en faveur de la défense, de la police ou de la justice, il faut, sur tout le reste, mettre l’État au pain sec, passer chaque politique publique à la paille de fer. Car les caisses sont vides.

Déléguons au privé quand il peut faire la même chose en mieux et pour moins cher. Taillons franchement dans le maquis des 1200 agences et organismes publics qui emploient plus de 450000 agents. Réservons le statut de la fonction publique aux fonctions régaliennes. Il faut refaire un État à la France, qui ne soit plus le gérant des intérêts particuliers, mais le garant de la protection collective. Rien ne changea tant que l’État ne changera pas.

Emmanuel Macron peut-il infléchir les événements? Faut-il attendre quelque chose de lui?
Depuis sa réélection, le président n’a jamais autant parlé. Mais il parle pour ne rien faire. Car son “en même temps” le condamne à l’immobilisme. Entre la politique bavarde d’Emmanuel Macron et la politique braillarde des démagogues, une autre voie est possible: celle d’une droite portant un vrai projet de redressement français, en assumant ses idées, sans excès mais sans concessions. C’est le combat qu’au Sénat, je m’efforce de mener.