Bruno Retailleau « La France s’enfonce dans l’insécurité et la violence »

Emmanuel Galiero et Claire Conruyt
Publié le 15/05/2024 à 20:51

ENTRETIEN – Le chef de la droite sénatoriale dénonce l’effondrement de l’État régalien et la situation insurrectionnelle en Nouvelle-Calédonie, pressant l’exécutif d’avoir le courage de « la rupture et de l’action ».

LE FIGARO. – Emmanuel Macron a convoqué un Conseil de défense et de sécurité nationale, sur fond de crises sécuritaire et pénitentiaire sévères. Il a également annoncé l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie. Qu’en pensez-vous ?

BRUNO RETAILLEAU. – L’instauration de l’état d’urgence, je l’avais demandée. Celui-ci doit permettre de donner plus de pouvoirs aux autorités pour rétablir l’ordre. Mais cela doit aussi être un signal : la République est partout chez elle. La Nouvelle-Calédonie, c’est la France. Et par trois fois, les Néo-Calédoniens ont exprimé leur volonté de rester français. Ne cédons pas au chantage à la violence.

Je suis évidemment pour la reprise du dialogue et je ne méconnais pas que les troubles en Nouvelle-Calédonie proviennent aussi d’une crise économique et sociale très profonde. Oui au dialogue, donc, mais pas sans conditions. La première des conditions, c’est le retour au calme et au respect de l’État de droit. La France s’enfonce dans l’insécurité et la violence.

Y a-t-il un lien entre ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie et les violences que l’on observe en métropole ?

Oui, car là-bas comme ici, l’État a perdu le contrôle. Je me mets à la place de nos compatriotes qui sont effarés devant l’effondrement d’un État qui ne les protège plus nulle part. Je reviens de Mayotte où l’on est au bord de la guerre civile. En Nouvelle-Calédonie, c’est une véritable insurrection. Et désormais, nous avons les images atroces de la mort de deux fonctionnaires pénitentiaires dans des conditions dramatiques.

Sans compter la longue litanie sanglante des actes de barbarie perpétrés en France. Partout, l’État n’arrive plus à faire appliquer ses lois, à protéger ceux qui les servent, à contenir une immigration incontrôlée, à tenir les quartiers où l’on tire à l’arme de guerre. Ni à sécuriser ses prisons, où les portables sont monnaie courante, où la drogue circule et où des narcotrafiquants peuvent continuer, bien qu’incarcérés, à diriger leur trafic.

L’État a perdu le contrôle, dites-vous. Comment l’expliquez-vous ?

Ce n’est pas le produit du hasard, ni même d’un manque de moyens, qui expliquent cette chienlit. C’est le fruit de choix idéologiques qui ont été faits par le président de la République et sa majorité. D’abord, le choix de fermer les yeux. Il y a quelques jours, la tête de liste du camp présidentiel aux européennes, Valérie Hayer, niait le lien pourtant évident, établi à maintes reprises, entre l’immigration et l’insécurité. Autre choix, celui du laxisme. Il ne suffit pas de dire qu’on va être intraitable si on n’a pas le courage de traiter le cœur du problème. Nous avons besoin d’une véritable rupture, car, depuis François Hollande, la même politique de désarmement pénal s’applique.

On a ainsi consacré dans nos textes un droit à l’inexécution des peines. C’est notamment pourquoi je suis pour la suppression du juge d’application des peines, qui, la plupart du temps, remet en cause les peines prononcées et même encourues ! C’est cette même idéologie anti-prison qu’ont appliquée tous les gardes des Sceaux depuis 2012, qu’il s’agisse de Mme Taubira, de M. Dupond-Moretti et de Mme Belloubet, tous trois venus de la gauche. Cette philosophie de gauche est à l’origine de notre laxisme pénal, car elle consacre la culture de l’excuse et considère que le coupable est d’abord une victime. C’est le refus d’admettre que la sanction fait partie de l’éducation. Moi, je pense qu’il faut absolument réhabiliter la sanction, dès le plus jeune âge. Car si vous n’êtes pas extrêmement ferme dès le premier écart, vous enfermez des jeunes dans des parcours de délinquance qui se terminent très mal.

Faut-il sanctionner cette impuissance publique ?

En démocratie, la sanction, c’est l’élection. Ce qui est certain, c’est que je considère qu’Emmanuel Macron a failli. Les chiffres sont sans appel. Un exemple : depuis 2017, le nombre de coups et blessures a augmenté de près de 64 %. Je tiens le président pour personnellement responsable de la situation, même si les choses ont commencé à empirer depuis l’élection de François Hollande. Mais depuis qu’Emmanuel Macron a été élu en 2017, il y a eu 12 textes législatifs en matière de politique ou de justice pénale, qui n’ont rien changé. De même, le président de la République a publiquement appelé à la censure de notre loi immigration par le Conseil constitutionnel, ce qui a privé les Français de mesures efficaces pour lutter contre le chaos migratoire.

Il faut un plan Marshall pour les prisons, qui permette notamment d’accélérer les procédures de construction et de mise en concurrence. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.

Qu’il s’agisse de l’immigration ou de la justice pénale, le gouvernement a refusé toutes les solutions de fermeté que la droite lui a proposées : le conditionnement des aides aux étrangers, le vote de plafonds d’immigration par le Parlement chaque année, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, les courtes peines de prison dès les premiers délits, l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans, les peines planchers, la construction de places de prison. Sur ce dernier point, qu’on ne me dise pas que cela prend du temps : l’État a été capable de reconstruire Notre-Dame de Paris en cinq ans et de bâtir un Village olympique en quelques mois. C’est une question de volonté. Il faut un plan Marshall pour les prisons, qui permette notamment d’accélérer les procédures de construction et de mise en concurrence. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.

Comment lutter contre les trafics de drogue ?

Le groupe LR vient de produire un rapport sur les narcotrafiquants, avec une vraie stratégie globale. Là encore, le gouvernement s’agite mais ne résout rien : je rappelle qu’en 2019 déjà, Christophe Castaner avait présenté un plan national de lutte contre la drogue avec 55 mesures ! Pour quels résultats ? Il faut, sur ce sujet, assumer une vraie rupture, créer de nouveaux outils à la hauteur de la menace que représente le narcotrafic : une agence sur le modèle de la DEA américaine, disposant d’une pleine autorité sur les services concernés par le narcotrafic, un parquet national et des cours d’assises spécialisées.

Il faut concevoir toute une chaîne pénale dédiée aux narcotrafiquants. Comme pour le terrorisme, il faut aussi créer un crime spécifique d’association de malfaiteurs pour les narcotrafiquants, revoir le statut des repentis mais aussi celui des indicateurs. Surtout, il faut taper les trafiquants au portefeuille, en gelant leurs avoirs et en systématisant les enquêtes sur leur patrimoine. Quand on voit un jeune de 25 ans au volant d’une voiture à 150.000 euros, que l’écrasante majorité des Français ne pourra jamais s’offrir, on est en droit de lui réclamer des explications : d’où vient l’argent ? Nous sommes face à une situation d’extrême urgence. Les opérations Place nette du gouvernement sont largement insuffisantes, quand elles ne relèvent pas de la pure communication.

Comment jugez-vous l’action des ministres de l’Intérieur et de la Justice ?

Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti sont comptables du bilan du président de la République. Pour moi, ce bilan est l’un des pires de la Ve République parce qu’Emmanuel Macron a un rapport biaisé avec le pouvoir. Il avait promis aux Français le retour de la verticalité, mais cette verticalité est celle d’un président qui ne tient plus rien, car, au fond, il ne tient qu’à lui-même. Emmanuel Macron est plus occupé à vouloir débattre avec Marine Le Pen qu’à combattre les maux du pays. Il enchaîne les interviews, les grandes déclarations, les cérémonies… Et pendant ce temps, chaque semaine, notre pays franchit un nouveau cran dans la violence, sans parler de l’explosion de la dette, de la crise de tous nos services publics et du recul de la France sur la scène internationale. Où va-t-on s’arrêter ? Au fond, le macronisme n’est pas un hypercentrisme : c’est un égocentrisme. Et ce souci exclusif de son ego aura contribué à mettre la France au bord du chaos.