Bruno Retailleau : “L’immigration massive est un malheur pour la France”

Bruno Retailleau. Oui. Il y a quatre ans, Emmanuel Macron avait refusé l’accès de l’ Aquarius dans un port français. À l’époque, il avait déclaré que les bons sentiments faciles sont sans lendemain. Le macronisme, c’est le “en même temps”, donc je ne m’en étonne pas. Fondamentalement, l’ouverture du port de Toulon à l’ Ocean Viking, c’est l’ouverture de la boîte de Pandore. Désormais, les passeurs, qui pratiquent la traite des êtres humains, et les ONG qui se font leurs complices savent que la France a cédé et qu’elle cédera de nouveau. Nous aurions dû soigner directement les malades sur le bateau et ensuite le faire repartir. Il faut relier cette affaire à ce qu’il s’est passé à l’Assemblée nationale avec Grégoire de Fournas. À partir du moment où l’on valide l’idée folle portée par l’extrême gauche que le retour des clandestins dans leurs pays est forcément raciste, on s’interdit toute fermeté migratoire. C’est très grave, car nous sommes à l’aube de mouvements migratoires sans précédent. Quand je suis né, il y avait 300 millions d’habitants en Afrique ; aujourd’hui, 1,4 milliard ; et demain, en 2050, elle en comptera 4 milliards.

L’opinion en a-t-elle conscience ?
Bien sûr, les Français perçoivent parfaitement les conséquences de ce signal de faiblesse envoyé, parce qu’ils subissent concrètement les effets de l’immigration massive.

Ce tournant signe-t-il la fin des espoirs de certains Républicains qui souhaitaient jusqu’alors un accord avec Emmanuel Macron ?
Prendre Emmanuel Macron pour un président de droite relève de la niaiserie. Si, après cela, certains veulent encore rejoindre le macronisme, je leur dis que ce serait une trahison des électeurs de droite : ces derniers veulent la fermeté, pas la régularisation des clandestins ; ils veulent aussi la transmission et la célébration de nos héros à l’école, pas le “wokisme” de salon de M. Pap Ndiaye. Le progressisme néolibéral et la gauche libertaire se retrouvent sur l’immigration : pour l’un comme pour l’autre, la figure de l’immigré est celle d’un individu interchangeable, que l’on peut déplacer sans conséquences.

Cette séquence ouvre-t-elle la voie à une clarification de la droite sur son rapport au macronisme ?
C’est un dévoilement de ce qu’est le progressisme, qui n’appartient pas et n’appartiendra jamais à la droite. Il ne suffi t pas d’abolir l’ISF pour être un homme de droite. La droite, ce sont d’abord des frontières et des repères : il faut tenir les premières et transmettre les secondes. On ne peut pas le faire avec une immigration toujours plus forte.

Gérard Collomb lie son départ de Beauvau à un désaccord avec Macron sur la politique migratoire. Est-il un superbe prophète ou un responsable cynique ?
Je trouve que Gérard Collomb arrive bien tard après la bataille. Si c’était si grave, pourquoi ne l’a-t-il pas dit ? Pour le macronisme, comme pour le socialisme dont Gérard Collomb est issu, l’immigration est forcément une chance. Moi je pense que l’immigration massive est un malheur pour la France. J’avais d’ailleurs combattu sa loi asile et immigration, qui avait élargi les conditions du regroupement familial. Je dis aujourd’hui que l’immigration n’est une chance ni pour les Français ni pour les immigrés, puisque nous n’avons plus les moyens de les assimiler correctement ni même de les accueillir décemment.

Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, vient d’acter que notre déficit démographique sera pallié par l’immigration et valide ainsi implicitement la notion pourtant contestée de “grand remplacement”. Pouvons-nous lutter contre ce progressisme néolibéral qui est aujourd’hui à la tête de l’Union européenne ?
On a tous oublié les propos de Jean-Paul Delevoye, en 2019, qui affirmait que s’il n’y avait pas de réforme des retraites, il faudrait faire venir 50 millions d’immigrés en Europe. Cinquante millions ! Je ne veux pas me perdre dans des débats sémantiques autour du “grand remplacement”. Mais l’immigration de peuplement est une réalité. Comment pourrait-il en être autrement ? De tous les pays d’Europe, la France est celui qui offre le plus d’avantages en matière de soins pour les clandestins, de regroupement familial, d’aides sociales et d’acquisition de la nationalité pour les immigrés. Il faut supprimer les pompes aspirantes.

​Vous avez émis de nombreuses propositions sur le sujet mais aucune de vos mesures ne marque véritablement sur l’immigration… Doit-on carrément réinterroger notre État de droit ?
Une certaine conception de l’État de droit, oui. Cela ne sert à rien de promettre l’avion aux délinquants étrangers si, en réalité, ce sont les juges européens qui sont dans la cabine de pilotage. Si la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) continue de mettre en danger les Français, alors, je le dis, la France devra renégocier les conditions de sa présence ou se mettre en retrait de la CEDH, mais aussi inscrire dans la Constitution que désormais, dès que nos intérêts vitaux sont en jeu, le dernier mot revient à la loi française, pas aux juges. Nous avons méthodiquement organisé notre impuissance.
Nous nous sommes dessaisis des moyens juridiques qui permettent de contrôler l’immigration, au profit de la jurisprudence de cours suprêmes. Sur le texte séparatisme, j’avais porté un amendement pour retirer le titre de séjour aux étrangers qui ne respectent pas les principes républicains : cet amendement voté par le Parlement a été censuré par le Conseil constitutionnel, qui a considéré que les principes républicains, c’était trop flou… Il faut reconstruire la souveraineté juridique de l’État en s’appuyant sur la force de la souveraineté populaire : je propose un référendum sur l’immigration. Il faut soumettre au jugement des Français ces mesures de bon sens que je porte, comme celle-ci : inscrivons dans nos lois que tout étranger arrivé illégalement en France ne sera jamais régularisé, qu’il travaille ou non. Nous devons rétablir le délit de séjour illégal supprimé sous François Hollande et la double peine supprimée pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy : tout étranger commettant un crime ou un délit doit être expulsé. S’agissant des “mineurs” étrangers, je suis partisan de la présomption de majorité : dès lors qu’ils refusent de se soumettre à des tests osseux, ils doivent être considérés comme majeurs et donc être expulsés.

Sur l’immigration, votre adversaire Aurélien Pradié dit que vous ne faites que hurler, que vous n’avez pas de propositions sérieuses…
Le sérieux, c’est de s’attaquer aux causes, pas de traiter seulement les conséquences. C’est ce que je m’efforce de faire. Car la démocratie française se meurt de l’“impossibilisme”. Ce ne sont pas quelques mesures qui permettront d’en finir avec l’immigration dérégulée. C’est un plan d’ensemble, une vision large : je me bats pour une droite qui ne se préoccupe pas seulement des questions matérielles mais qui réponde aussi aux préoccupations civilisationnelles des Français. Et l’immigration est au cœur de cette politique de civilisation que je défends.

​Vous décrivez une situation d’urgence absolue pour la France, et, pourtant, vous avez mis énormément de temps à envisager d’être au tout premier rang de la scène. Pourquoi ne pas avoir participé à la primaire de la droite pour l’élection présidentielle ?
Je pense que ces primaires organisées très tardivement constituaient une impasse. J’étais le seul à m’y opposer. En politique, on ne construit pas une candidature présidentielle quelques mois seulement avant l’échéance. Après l’échec à la dernière présidentielle, je ne pouvais rester dans ma zone de confort. Il aurait été lâche de ne pas m’engager. Car je ne crois pas à la fatalité : pour la droite, rien n’est perdu mais tout est à reconstruire.

Pourquoi persister avec ce parti qui a perdu 10 millions d’électeurs en quinze ans et qui perd ses cadres au compte-gouttes ?
D’abord, je suis loyal et fidèle. Je me suis battu avec les militants de la droite, aux côtés d’hommes et de femmes que je connais parfois personnellement. La loyauté, je la dois à ceux avec qui on a mené le combat des idées, dans la victoire comme dans la défaite. Beaucoup de Français ne se reconnaissent pas dans l’offre politique actuelle, que l’on veut réduire au duel entre le macronisme et le lepénisme. Je suis certain qu’il existe un espace pour une vraie droite, sans excès mais sans concessions. À nous de faire exister cet espace. Le pari que je fais, c’est de faire un grand reset . Je veux tout changer chez LR, redonner la parole aux militants et créer un grand parti populaire et patriote qui aura vocation à rassembler tous les électeurs de droite.

Ce parti populaire et patriote n’est-il pas le Rassemblement national ?
Marine Le Pen n’est pas de droite, comme le montre son refus de réformer les retraites et d’assumer une vraie politique d’économies et de liberté. Le RN est un parti attrape-tout, qui a dit tout et son contraire, notamment sur l’ Europe. À y regarder de plus près, Mme Le Pen n’a qu’une seule ligne directrice : enfourcher la popularité du moment.

Vous êtes pourtant l’un des seuls à droite à ne pas avoir pointé du doigt Grégoire de Fournas quand il a dit à l’Assemblée, au sujet de l’Ocean Viking, « Qu’il retourne en Afrique ! » …
Le désaccord n’interdit pas l’honnêteté. L’interpellation de ce député RN était inopportune mais elle n’était pas raciste, comme l’a montré le compte rendu de séance. Je refuse de plier devant les intimidations de l’extrême gauche. Nous devons tirer les leçons de cet épisode. Si demain la droite veut convaincre, elle devra vaincre sa peur du politiquement correct et de la bien-pensance. Elle devra cesser de vouloir correspondre aux codes de respectabilité fixés par la gauche.

Pensez-vous, comme le ministre Clément Beaune, que « l’ennemi politique numéro un, c’est le Rassemblement national » ?
L’ennemi que je combats est le déclin de la France : l’appauvrissement des Français et la menace d’un changement de notre civilisation. Ce déclin est accéléré par les idéologues de la déconstruction, “wokistes” et islamo-gauchistes. Ils constituent selon moi une vraie menace politique pour la France. Et notamment pour notre école : elle est en train de devenir le laboratoire de ceux qui ne veulent plus instruire mais déconstruire. La conscience d’un enfant en construction, c’est sacré : il faut la protéger. Et pour cela, il faut que l’école redevienne un sanctuaire. Ni les tenues islamiques ni la théorie du genre n’ont leur place dans l’enceinte scolaire.

Éric Ciotti veut désigner Laurent Wauquiez pour la prochaine présidentielle. Pradié dit qu’il n’ira pas. Et vous ?
Je suis candidat à la présidence de LR, pas à la prochaine présidentielle. Ce n’est pas une bonne idée de mettre la charrue avant les bœufs, les ego avant les idées. Si on décide maintenant du candidat, on ne refondera rien du tout. On se laissera aller à la paresse intellectuelle. Et on électrocutera notre candidat si, par malheur, la droite trébuche lors des prochaines européennes. Cela fait trop longtemps que la droite ne réfléchit pas sur le fond. Si 10 millions de Français nous ont quittés depuis 2007, c’est parce qu’ils ne savent plus exactement ce que pense la droite. Nous devons faire l’inventaire des erreurs passées et porter enfin une ligne claire. C’est ce que je propose avec la nouvelle génération des courageux : François-Xavier Bellamy, Othman Nasrou, Julien Aubert…

Si vous êtes élu président des Républicains, resterez-vous à la tête du groupe LR au Sénat ?
Oui, car nous sommes dans un moment particulier : en l’absence de vraie majorité pour le président, on assiste au retour du Parlement. Dans le débat, à l’Assemblée comme au Sénat, la droite doit donc parler d’une seule voix.

Vous avez l’image d’un rassembleur. Pourtant, Nicolas Sarkozy a dit qu’il quitterait le parti si vous êtes élu…
Je ne le retiendrai pas. C’est une bonne nouvelle si les soutiens d’Emmanuel Macron quittent le navire. Je les comprends : ils savent qu’avec moi, la droite sera dans une opposition franche et déterminée au macronisme. Je veux l’unité mais pas au détriment des convictions : je refuse les synthèses molles, et c’est sur une ligne claire que je veux fédérer. L’UMP s’est tiré une balle dans le pied en voulant créer un melting-pot de courants et de personnalités sans s’arrimer à une doctrine claire, à un projet de société cohérent.

Peut-on encore être conservateur en 2022 ?
Nous vivons dans une société liquide qui ne tient pas compte des éléments de permanence constitutifs de la vie humaine. Aujourd’hui, dans un monde qui bouge tellement, le bougisme devient une impasse. Si on ne doit pas être seulement “conservateur” mais aussi réformateurs, le mot de conservatisme ne me fait pas peur : est-ce que nous n’aurions pas mieux fait de conserver une école qui transmette, des frontières qui protègent ou même des centrales nucléaires qui fonctionnent ?

L’éclosion de Jordan Bardella durant la campagne présidentielle puis son élection à la tête du RN n’est-elle pas une très mauvaise nouvelle pour vous : il ratisse très large et plaît à des gens qui n’ont jamais eu la même affection pour Marine Le Pen. Représente-t-il un danger pour la droite ?
Son élection était sans suspense. Je ne connais pas Jordan Bardella. Il est sans doute talentueux, mais son élection ne bouleverse pas le paysage politique : la prochaine candidate du RN en 2027 sera Marine Le Pen. Moi, je trace mon sillon : je me bats pour que la droite gagne dans cinq ans, mais pour cela elle doit se refonder entièrement et le faire dès maintenant. C’est ce que je propose.

 

Par Edouard Lavollé, Jules Torres, Raphaël Stainville, Tugdual Denis